Les poids monétaires
Il fut un temps ou la valeur de la monnaie affichée sur une pièce n’était pas si assurée qu’elle l’est désormais de nos jours.
Nous vivons une période relativement sécure de ce point de vue. La valeur de la monnaie n’est plus basée sur sa masse et la valeur du métal qui la compose.
Un dollar vaut un dollar et un euro vaut un euro… puisque c’est indiqué dessus (n’en faisons pas tout un fromage*).
Logique nous direz-vous ? Pas forcément.
En effet, il n’en fut pas toujours ainsi...
Toujours de bon aloi
Avant le XXème siècle (voire parfois plus tardivement selon les pays), le poids (ou plutôt la masse, pour être exact) d’une monnaie régnait en maître.
D’ailleurs, la valeur faciale d’une monnaie faisait souvent référence au poids correspondant. Par exemple, la livre sterling tire directement son nom de la livre en tant qu’unité de masse (dont les origines remontent à la Rome antique). De même que le mark allemand, issu du marc de Cologne, lui-même issu de la livre Carolingienne…
Monnaie Grande-Bretagne
Elizabeth, Pound, 1558-1603, Londres, Très rare, SUP
L’aloi (ou le titre de nos jours) indique la teneur en métal précieux d’un objet. Par exemple, la Silver Maple Leaf (littéralement feuille d'érable en argent) canadienne a un titre de 999.9 millième. C’est à dire qu’elle est constituée d’argent quasiment pur.
De là d’ailleurs, nous vient l’expression “de bon aloi”.
Monnaie Canada
Elizabeth II, 5 Dollars, 1996, Royal Canadian Mint, Ottawa, BU
Il fallait donc deux paramètres pour valider la valeur d’une pièce de monnaie échangée : son aloi et sa masse.
Deux paramètres pas toujours aisés à vérifier en des temps plus reculés.
Entre dévaluations, réévaluations, ordonnances royales de tous pays, pratiques frauduleuses, faux monnayages, usure, frappe artisanale, devises étrangères, différences d’étalon de masse et j’en passe, difficile pour un marchand d’accepter en toute confiance une monnaie pour ce qu’elle valait, de prime abord.
Antiques pratiques
Cette recherche de l’exactitude remonte à des temps très anciens avec des méthodes parfois astucieuses et souvent artisanales.
Pour ce qui est du titre, diverses techniques étaient pratiquées durant l’antiquité.
On commence par vérifier la densité (merci Archimède) en plongeant dans l’eau la monnaie testée et un élément de référence. Puis l’on compare le volume d’eau qui déborde.
On pratique également l’essai au touchau qui perdure jusqu’au XIXème siècle. Cette technique consiste à comparer une réaction chimique entre un échantillon (le touchau) et la pièce testée.
Quant à la pesée, plus simple, on trouve trace des premières balances utilisées pour peser les lingots d’or dans l’Egypte antique, 2 400 ans avant J.C..
Une question de poids
En France, le poids monétaire (ou dénéral) naquit vers 1330 sous Philippe VI et servait initialement à contrôler le poids des monnaies émises.
Généralement, les pièces de monnaies sorties des ateliers souffraient d’un léger surpoids - tout à fait volontaire - destiné, à terme, à contrer le frai (autrement dit l’effet d’usure naturel du métal).
Le dénéral est d’un métal bien moins précieux que les pièces de monnaie (cuivre, fer, laiton…). Seule sa masse compte. Et elle se doit d’être précise.
A chaque monnaie, son dénéral.
D’un point de vue esthétique, le rendu est variable. Certains sont frappés des deux côtés, d’autres non. Certains comportent un motif, d’autres une simple légende mentionnant souvent l’équivalent en poids de la valeur faciale concernée. Autrement dit, l’on trouve un peu de tout pour cet objet, somme toute très utilitaire à l’époque et devenu depuis objet de collection.
L’embûche du trébuchet
C'est au XVIème siècle, avec la multiplication des échanges commerciaux et de la circulation monétaire que l’on voit se démocratiser l'usage de la boîte de pesage.
Il s’agit alors d’une sorte de kit contenant une balance trébuchet dédiée à cet usage et un assortiment de poids monétaires de référence.
De nombreux ateliers à travers l’Europe s’attellent à la fabrication de ces indispensables objets. D’Anvers à Birmingham en passant par Cologne ou encore Lyon, on pèse et on soupèse à qui mieux mieux, on vérifie, on évalue, on compare, chacun dans son système d’unité de référence.
Il faut dire qu’à cette époque, certains personnages peu scrupuleux ont la fâcheuse manie de rogner les bords des pièces puis d’en récupérer les copeaux de métal précieux. La valeur des pièces s’en trouve alors diminuée.
Une autre technique, cette fois franchement malhonnête, consiste à fourrer la pièce comme un gâteau avec un métal peu cher et y ajouter une petite couche dorée ou argentée en trompe-l’oeil.
(On notera tout de même un certain goût du risque, en effet, au Moyen-Âge, la pratique de ce genre de cuisine était lourdement sanctionnée. Le faux-monnayeur étant condamné à périr dans d’atroces souffrances, ébouillanté en public dans une marmite d’eau ou d’huile de poix. Ca refroidit, si je puis dire...)
Ni vu ni connu ?
Pas vraiment ! Tout marchand avisé est désormais équipé de sa boîte de pesage afin de s’en protéger. Au moindre soupçon, il pose sa balance, extrait de la boîte son poids de référence, le dispose doctement sur un des plateaux et sur l’autre la pièce de monnaie.
Si la balance penche pour la monnaie, la transaction peut avoir lieu. Dans le cas contraire, on ajoute des poids de grain jusqu’à l’équilibre et l’on déduit ces grains pour attribuer à la monnaie sa valeur réelle.
Si toutefois un soupçon demeure, le clairvoyant vendeur peut employer une technique plus ancienne et certes un tantinet moins scientifique qui consiste à lancer la pièce sur une surface dure et écouter le son qu’elle produit. Un son clair indiquant une bonne qualité du métal.
De ces deux techniques, la pesée avec balance trébuchet et la clarté du son au jeter, nous est restée l’expression “en monnaie sonnante et trébuchante”.
Ailleurs dans le monde…
Bien entendu, l’usage du poids de référence ne se cantonnait pas à la seule Europe.
En Afrique de l’Ouest, l’on trouvait par exemple les poids d’or conçus par les Akans entre le XVème et le XIXème siècle.
Fabriqués en laiton, ces “Baoulés” ou encore “mrammou” servaient à évaluer la masse de poussière d’or, précieuse poussière qui était alors en usage dans la région pour les échanges commerciaux.
Monnaie West Africa
Ashanti, Akan Goldweight, XVIIIth-XIXth Century, TTB+
Monnaie West Africa
Ashanti, Akan Goldweight, XVIIIth-XIXth Century, TTB+
* Oui, le Port-Salut, on a osé le jeu de mot fromager !
Iconographie :
- "Archimède" par Giovan Battista Langetti (entre 1665 et 1670) (Domaine public)
- "Une dame âgée pesant de l'or" par Jacques de l'Ange (1642) (Domaine public)
- Boîte de pesage de vingt-et-un poids monétaires, trois lamelles et une balance, vers 1650, fabriquée par André Le Fran, Musée des Arts et Métier à Paris (Licence Creative Commons)
- "Un homme âgé pesant des pièces de monnaie" par Salomon Koninck (entre 1629 et 1656) (Domaine public)
Sources :
- https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=smb-001:1963:13::984
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Titre_(m%C3%A9tal)
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Marc_(unit%C3%A9)
- http://numisclub.beauvais.free.fr/pesage.htm
- http://poidsmonetaires.over-blog.com/article-les-poids-monetaires-un-peu-d-histoire-59000097.html
- https://www.lepoint.fr/economie/les-faux-monnayeurs-13-12-2011-1406931_28.php