Le nouveau franc : histoire d’une réforme
Nous sommes le 1er juin 1958 en France et la IVème république s’approche à grande vitesse de sa fin.
En effet, le général de Gaulle, appuyé par René Coty, fait son grand retour.
L’Assemblée nationale lui octroie alors six mois de pleins pouvoirs qui vont être consacrés, entre autres, à poser les bases d’une grande réforme constitutionnelle qui accouchera de la Vème République.
Ainsi, le 8 janvier 1959, monsieur le Président de la République Charles de Gaulle fait son entrée à l’Elysée.
Dans le même temps, affaibli par les guerres et l’inflation, le franc germinal a beaucoup perdu de sa valeur et de sa superbe et s’apprête, lui aussi, à plier boutique.
Le nouveau franc, ou franc Pinay du nom du ministre des finances de l’époque, fait son entrée sur scène le 1er janvier 1960.
Il fait partie d’un grand plan d’assainissement monétaire lancé dès 1958 et vaut désormais 100 anciens francs.
Psychologiquement, l’opération n’est pas - au début - sans impact, puisque le salaire moyen passe “virtuellement” de 61 000 anciens francs à 610 francs. Mais, bon an, mal an, on s’y retrouve.
Et, d’un autre côté, le franc redevient stable et sa convertibilité est simplifiée grâce à une valeur fixée à 180 milligrammes d’or fin. Dès 1963, il retrouve la valeur du franc de 1913. La France reprend sa place sur le marché des changes et y gagne en prestige.
Voici ce qu’en disait le journal Le Monde dans un article daté du 18 décembre 1959 :
“Pourquoi cette mutation et que va-t-elle changer ? L'intention (...) a été de provoquer un choc psychologique favorable au franc. (...) Aux yeux de l'opinion internationale, plus sensible aux apparences qu'à la réalité profonde, le fait que le nouveau franc français vaille à peu près autant que le franc suisse et à peine moins que le deutschemark sera considéré comme un signe de santé financière et de vigueur économique. L'ancien franc, bien connu pour ses dévaluations périodiques, s'oubliera vite.”
A nouvelle République, nouveau franc donc !
Si la réforme est établie, la mise en circulation des pièces de monnaies et billets se fait, elle, plus progressivement.
En pratique, les anciens billets et anciennes pièces continuent d’avoir cours mais valent simplement 1/100 de leur valeur faciale initiale.
France 10 Nouveaux Francs on 1000 Francs
Richelieu, 1957, 1957-03-07, TTB
1 - Les billets surchargés
Dès le second semestre 1959, afin de préparer la transition, on surcharge les billets en anciens francs avec leurs valeurs en nouveaux francs.
Sont alors concernées :
- Les coupures de 500 (anciens) francs “Victor Hugo”
- Les coupures de 1 000 (anciens) francs “Richelieu”
- Les coupures de 5 000 (anciens) francs “Henri IV”
- Les coupures de 10 000 (anciens) francs “Bonaparte”
Dans un second temps, les mêmes types sont émis mais n’affichent plus que leur valeur en nouveaux francs, à savoir 5, 10, 50 et 100 francs.
2 - Les monnaies en francs
Ce sont les monnaies de 1 et 5 (nouveaux) francs qui ouvrent le bal. Elles sont en nickel, avec un avers reprenant la célèbre semeuse d’Oscar Roty. Une référence à un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître mais où le - désormais ancien - franc était prospère.
Frappées en 1959 et millésimées en 1960, ces pièces entrent en circulation dès le 1er janvier :
Dénomination | Atelier | Année | 1ère émission |
---|---|---|---|
1 franc | Paris | 1960 | 48 815 000 ex. |
1 franc | Beaumont-le-Roger | 1960 | 13 505 000 ex. |
5 francs | Paris | 1960 | 34 200 000 ex. |
On notera qu’aucune d’elles ne porte la mention nouveau franc mais, d’ores et déjà, la valeur franc.
La pièce de 5 francs est plus petite que celle des anciens francs et se distingue également grâce à sa tranche sur laquelle sont gravés les mots “Liberté, Egalité, Fraternité”.
Quant à la pièce de 1 franc, pour référence, on lui attribue le poids, la taille et les cannelures de sa consoeur de 100 anciens francs.
Il n’y eut pas vraiment d’essai à l’exception de frappes de réglages pour les machines. Les pièces portant la mention “Essai” sont en réalité émises à des fins de communication, en 4 000 exemplaires chacune, et sont notamment distribuées aux députés et sénateurs.
En revanche, le projet initial de la 2 francs semeuse, après de nombreux essais, ne sera pas finalisé au cours des premières années du nouveau franc.
Quant à la 10 francs “Hercule”, elle n’arrivera qu’après la bataille de la transition entre l’ancien et le nouveau franc, en 1964.
France Set 1 ct.
2 cts. et 5 cts., Épi, 1961, MDP, Essai, Acier inoxydable
3 - Les centimes
Au vu du volume de frappe nécessaire, la mise en circulation des centimes se fait très progressivement.
Le design des pièces de 1 et 5 centimes est celui du célèbre centime épi et sa très reconnaissable écriture cursive. Un style épuré sur acier, frappe monnaie, tranche lisse, visuellement très identifiable et dessiné par Marcel Guilleminet.
Pour l’anecdote, la dureté de l’acier provoque quelques accidents de coins lorsque ceux-ci s’usent. Les coins usés provoquent alors un léger rebord sous la feuille droite de l’épi.
La mise en circulation des 1 et 5 centimes se fera successivement :
Dénomination | Atelier | Année | 1ère émission |
---|---|---|---|
5 centimes | Paris | 1961 | 39 000 000 ex. |
1 centime | Paris | 1962 | 34 200 000 ex. |
La 5 centimes sera démonétisée très rapidement, en 1966, et sera remplacée par un type “Marianne”.
La petite mais costaude 1 centime, quant à elle, perdurera jusqu’en 2001.
Si, au départ, l’on prévoit une pièce de 2 centimes, celle-ci restera à l’état de projet et n’entrera jamais en circulation. 3 500 exemplaires portant la mention “Essai” seront frappés en 1961.
Les pièces de 10, 20, et 50 centimes sont de type “Marianne”, en alliage cupro-aluminium-nickel et le graveur en est Henri Lagriffoul.
Leur mise en circulation se fera en 1962 :
Dénomination | Atelier | Année | 1ère émission |
---|---|---|---|
10 centimes | Paris | 1962 | 29 100 000 ex. |
20 centimes | Paris | 1962 | 48 200 000 ex. |
50 centimes | Paris | 1962 | 37 560 000 ex. |
En 1963, le nouveau franc n’est plus, vive le franc !
Ainsi, le 1er janvier 1963, à l’occasion des vœux, le ministre des Finances Valéry Giscard d’Estaing annonce que, désormais, l’adjectif de nouveau ne sera plus accolé au franc mais que l’adjectif ancien le sera à celui de Germinal.
En quatre années à peine, du décret à la disparition du franc en tant qu’ancien et l’avènement d’un franc plus si nouveau, la transition fut faite et la France dotée définitivement d’une nouvelle monnaie.
La démonétisation de l’ancien suivit ensuite peu à peu.
Et 40 ans plus tard, c’est une nouvelle transition monétaire de grande ampleur qui eut lieu… Mais ceci est une autre histoire…
Sources
- https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000356/le-nouveau-franc-succede-en-1960-au-franc-bonaparte.html
- https://www.monnaiedeparis.fr/en/shop/la-semeuse-le-nouveau-franc
- Magazine “Histoires & connaissances”, “La Ve République”, Hors-Série, Juillet 2021
- https://www.economie.gouv.fr/saef/antoine-pinay
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_%C3%A9missions_de_franc_fran%C3%A7ais_depuis_1960
- https://fr.numista.com/catalogue/pieces1.html
- https://monnaie-magazine.com/1960-les-premieres-pieces-en-nouveau-franc/
- https://www.lemonde.fr/archives/article/1959/12/18/les-reponses-aux-questions-que-vous-vous-posez-concernant-le-le-nouveau-franc-qui-sera-mis-en-circulation-le-1er-janvier-19c0_3142117_1819218.html
- https://fr.numista.com/catalogue/pieces689.html
- https://fr.numista.com/catalogue/france-40.html
Iconographie
- Déplacement du président de la République française Charles de Gaulle en Auvergne (5 au 7 juin 1959) : visite du site de Cataroux (Michelin) - Service des voyages officiels (ministère de l'Intérieur) Licence CC4)
- Couverture du Time - "Charles De Gaulle, Man of the Year" - 5 janvier 1959 (Domaine public)