La saga du timbre-monnaie
Les guerres ont parfois des conséquences surprenantes.
Les bouleversements qu’elles occasionnent dans les structures étatiques et la vie quotidienne de la population incitent souvent à l’astuce, la débrouillardise et l’inventivité.
Une des problématiques fréquentes, d’un point de vue strictement monétaire, est le manque de numéraire en raison de la thésaurisation et/ou de la pénurie de métaux.
Par deux fois, on dût donc trouver une alternative de moyen de paiement. On usa d’imagination et on inventa donc un objet tout à fait étonnant : le timbre-monnaie.
I – Gault sans Millau

La première fois se produisit à la fin du XIXème siècle aux Etats-Unis, durant la guerre de Sécession.
En 1862, le gouvernement autorise l’usage du timbre poste en tant que moyen de paiement, à condition que sa valeur soit inférieure à moins de 5$. Problème principal : le papier est fragile et se détériore rapidement.
John Gault, un entrepreneur, invente alors un procédé tout à fait ingénieux, l’"encased postage stamp" (littéralement timbre poste enchâssé) et dépose un brevet. Il fait de la publicité dans un journal local et l’usage se répand.
Il devient alors compliqué d’affranchir son courrier, les timbres étant utilisés pour tout autre chose.
En 1863, le gouvernement américain émet alors des monnaies papier appelées “shinplasters” ou monnaies fractionnelles qui pallient efficacement le manque de numéraire et l’usage du timbre monnaie disparaît peu à peu.
La population finit par récupérer les timbres enchâssés pour envoyer du courrier. Sur environ 750 000 timbres-monnaie fabriqués, on estime qu’environ seulement 5 000 subsistent, les rendant extrêmement rares de nos jours.

II – Grande Guerre et petite monnaie
La seconde fois que l’on s’affranchit (vous l’avez ?) de la monnaie officielle pour passer au format timbre poste, nous sommes au lendemain de la Première Guerre Mondiale, en 1920.
La guerre a lessivé les réserves de métaux, notamment le cuivre et le laiton, et les porte-monnaie sont vides de petites pièces.
L’Etat n’en produit plus, et il faut bien trouver un moyen de régler sa baguette de pain.
Le timbre-monnaie refait surface. Si l’Etat ne cautionne pas son usage, il ne l’interdit pas non plus.
En France, dans un premier temps, on utilise directement le timbre, soigneusement rangé dans une pochette plastique scellée par un bandeau publicitaire. L’ensemble est bien fragile et peu pratique…

On réfléchit (mais si !).
Et comme précédemment, c’est un entrepreneur, Édouard Bouchaud-Praceiq, qui trouve la solution et dépose un brevet qui répond au joli nom de “Fallait-Y-Penser” (FYP).
Et c’est donc en toute logique que l’industriel FYP se lance dans la fabrication du timbre monnaie “nouvelle version” : sur l’avers un timbre protégé d’une capsule transparente et au revers une publicité.
Le fond, autour du timbre, est coloré de manière variée.
Chambres de commerce, municipalités, entreprises, tout le monde s’y met.
Le Crédit Lyonnais et autres banques, les journaux, les hôtels, les grandes marques comme Waterman ou les pilules Pink ou bien encore - bien sûr - les petits commerces. On répertorie autour de 250 entreprises l’ayant utilisé.
Monnaie France
Porte-Plume, Waterman, Kirby, 5 Centimes, Timbre-Monnaie, SUP
Joignant l’utile à l’agréable, l’objet se fait support publicitaire privilégié.
Et vous pouvez désormais payer votre bière, vos chocolats ou votre chicorée en timbre poste.
On distingue deux types de timbres-monnaie fabriqués par FYP :
- Jeton en fer-blanc avec publicité peinte
- Aluminium avec publicité en relief
Les timbres à l’avers, quant à eux, sont de type “semeuse”, lignée ou camée. Les timbres-monnaie ont pour valeur celle du timbre, c’est à dire 5, 10 ou 25 centimes.
Monnaie France
Crédit Lyonnais, 25 Centimes, Timbre-Monnaie, TTB, Aluminium
Vers 1923-24, l’histoire se répète encore. Le numéraire est de nouveau émis en quantité suffisante, les porte-monnaie se remplissent et le timbre-monnaie est de nouveau abandonné.
Rare et à tout point de vue original, reste qu’il fait maintenant le bonheur… des collectionneurs.
Addenda : il est à noter que plusieurs autres pays utilisèrent également le timbre comme monnaie à cette époque. En Russie, on trouve même des timbres imprimés au verso afin d’attester de leur valeur en tant que monnaie.
Illustrations :
- “Marie Brizard & Roger” (carton publicitaire) par Rappini (XIXème)(CC)
- “General Kearney's gallant charge" par Augustus Tholey (Domaine public)
- “Encased postage stamp currency” - National Numismatic Collection at the Smithsonian Institution (CC)
- “Women operators” par George Agnew Reid (1919)(CC)
- Publicité pour la liqueur Apry de Marie Brizard - Your Pal Dave (CC)
Sources :