Le billet de 5 000 francs Flameng
Le billet de 5 000 francs Flameng, type 1918, fait partie de la courte liste des sept billets de 5 000 francs émis par la Banque de France entre 1846 et 1959.
Ce billet est toutefois remarquable à tous points de vue : son créateur talentueux, son esthétique exceptionnelle qui en fait probablement l’un des plus beaux billets émis en France, son faible tirage et, enfin, son histoire rocambolesque.
Il méritait donc bien ici un billet pour le raconter !
I - L’école Flameng
Comme vous ne l’aurez peut-être pas deviné, le nom de ce superbe billet est celui de son créateur, j’ai nommé François Léopold Flameng, graveur, peintre et illustrateur, tout comme l’était son père auprès duquel il apprend la peinture.
François Flameng naît à Paris en 1856 et y mourra en 1923, à l’âge de 66 ans.
D’abord étudiant à l’École des beaux-arts de Paris, il y deviendra lui-même professeur en 1905. Faste année au cours de laquelle il devient également membre de l’Académie des beaux-arts.
"Le carnaval de Venise" par François Flameng (Non daté) (Domaine public)
On lui doit (entre autres), une série de portraits de membres de la cour impériale russe sous le tsar Alexandre III, la peinture du panneau Paris du mythique restaurant de la gare de Lyon, Le Train Bleu, moultes toiles historiques, des illustrations d’oeuvres et de revues ou encore une série de peintures sur le front de la Première Guerre mondiale, en tant que peintre des armées.
Mais c’est un peu plus tôt que cela que notre histoire commence, puisque c’est en 1891 qu’il conçoit les toutes premières esquisses d’un billet de 1 000 francs…
II - Une histoire rocambolesque
Ce billet de 1 000 francs sur lequel il travaille est destiné à être le tout premier imprimé en quatre couleurs (quadrichromie) et non en deux comme c’était le cas auparavant, en raison de limitations techniques.
Après quelques modifications, de premiers essais sont réalisés en 1892 et une version définitive est imprimée en 1896.
Et pourtant, ce billet de 1 000 francs ne sera jamais mis en circulation et un million de coupures seront détruites après impression.
Deux principales raisons probables à cela.
La première est d’ordre pragmatique. En effet, les nouvelles techniques utilisées, gage de sécurité, auraient pu apparaître comme un privilège quant aux porteurs de grosses coupures dans la mesure où les autres billets de plus basse valeur ne disposaient pas des mêmes techniques.
La seconde est moins rationnelle, la splendide esthétique de style art nouveau du billet aurait manqué la part de sentiment de “sérieux monétaire” rattachée à la fonctionnalité primaire d’un billet : un moyen de paiement.
Le billet est donc mis en réserve par la Banque de France.
Ce n’est qu’en août 1914 que le billet refait parler de lui. En effet, on a alors besoin de grosses coupures disponibles rapidement. Ni une, ni deux, mais 5 000 !
La valeur faciale du billet quintuple, on change les couleurs, on ajoute un filigrane, on imprime, et roulez deuxième jeunesse.
Vraiment ?
Finalement non… Retour à la réserve.
C’est seulement le 20 septembre 1938, rien moins que 42 ans après sa première version, que le billet est ENFIN mis en circulation. La raison principale en est la dévaluation qui nécessite alors l’émission rapide de grosses coupures.
Billet France
5000 Francs, 5 000 F 1918 ''Flameng'', 1918, 1918-01-24, TB+
Un autre type de billet de 5 000 francs est d’ailleurs mis en circulation à la même date, il s’agit du type 1934 Victoire.
Billet France
5000 Francs, 5 000 F 1934-1944 ''Victoire'', 1941, 1941-07-10
Le type 5 000 francs Flameng 1918 sera émis à seulement 600 000 exemplaires et ne circulera que sept petites années, ce qui explique sa cote, sa rareté et le fait qu’il soit très recherché par les collectionneurs. Il est retiré de la circulation le 4 juin 1945.
III - Une esthétique inégalée
Ce billet exceptionnel ne se distingue pas seulement par son histoire mais également par son esthétique artistique (qui l’a d’ailleurs probablement quelque peu desservie de prime abord).
Il s’agit du plus grand billet émis en France avec une largeur de 25,60 centimètres pour une hauteur de 12,80 centimètres.
De style art nouveau, il présente à l’avers comme au revers des scènes qui sont de véritables tableaux miniatures. Si la version primitive était de couleur vive, la version définitive est plus mate dans ses teintes. Les compositions et les ornements sont extrêmement riches et les représentations symboliques foisonnent.
Des deux côtés, l’ensemble des illustrations est encadré par une frise ornementale à l’extérieur de laquelle deux angelots semblent tenir la valeur 5 000 en suspension grâce à des rubans. En bas à gauche, la signature de Flameng, en bas à droite celle du graveur Jules Robert. Trois cartouches rappellent fort à propos la peine encourue en cas de faux monnayage (la perpétuité).
A l’avers, sur la partie haute, un couple représentant l’association du Travail, personnifié par un forgeron devant un rucher, et de la Science, personnifiée par une femme portant un caducée.
A droite, un cupidon nous tourne le dos, tenant une balance sur son séant, et, devant lui, une charrue. Il tient de la main gauche un blason sur lequel on devine les mots “Sagesse et Fortune”, rappelant opportunément la devise de la Banque de France : “La sagesse fixe la fortune”.
En bas, sous les mentions informatives, on distingue une fresque hachurée avec des représentations allégoriques (de gauche à droite) : les sciences, les arts, l’industrie, l’agriculture et le commerce.
Ce qui est en somme un résumé de tout l’état d’esprit de l'œuvre réalisée pour ce billet : une synthèse visuelle et allégorique des ressources économiques de la France.
Au revers, c’est un véritable tableau qui s’offre à l’oeil avec en toile de fond l’île de la Cité à Paris, le pont Neuf et une péniche. Au premier plan, à gauche, on retrouve l’allégorie évoquée à l’avers. Le travail (un homme) retient par le bras la fortune (une femme aux yeux bandés) sur sa roue. Un ruban flotte au-dessus d’eux, affichant “Le travail et la fortune”. Derrière eux, un cupidon assis.
Au centre, un globe terrestre et un livre ouvert. A droite, reprenant la thématique des ressources, un homme vêtu à l’antique tel un philosophe, muni d’un compas et d’un écritoire. A ses côtés, se tient un paysan muni d’une faux et assis sur un sac.
Billet France
5000 Francs, 5 000 F 1918 ''Flameng'', 1918, 1918-01-17, TTB
Charmant, fort de sa symbolique, pléthorique autant dans ses personnages que dans ses éléments ornementaux, extrêmement riche, d’une structure visuelle extrêmement bien pensée et équilibrée, le billet impressionne.
Entre œuvre d’art et billet de banque et malgré, ou plutôt grâce aux caprices d’une histoire digne d’un roman fleuve, le billet de 5 000 francs Flameng frappe par son originalité et ravit tout autant les billetophiles que les amateurs d’art.
Illustrations :
- "Portrait de François Flameng", carte postale, Félix Potin et Cie (vers 1900) (Domaine public)
- "Le carnaval à Venise" par François Flameng (Non daté) (Domaine public)
Sources :
